Il y avait salle comble à Martelle hier pour la rencontre-dédicace avec Benjamin Lacombe, illustrateur et auteur en littérature jeunesse et adulte. Cette première venue dans la librairie amiénoise pour Lacombe a fait mouche : une longue file de lecteurs est venue faire dédicacer leur exemplaire avant d’assister à un entretien animé par Marie Gaudefroy, directrice de la librairie depuis cinq ans.

Entré en 2001 à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris, Benjamin Lacombe suit une formation artistique tout en travaillant parallèlement dans la publicité et l’animation. À seulement 19 ans, il signe sa première bande dessinée, avant de publier plusieurs livres illustrés. Son projet de fin d’études, Cerise Griotte, qu’il écrit et dessiné entièrement, marque un tournant : paru en 2006 aux éditions du Seuil Jeunesse, l’ouvrage est publié l’année suivante aux États-Unis par Walker Books et sélectionné par Time Magazine comme l’un des dix meilleurs livres jeunesse de l’année 2007. Depuis, Benjamin Lacombe a écrit et illustré une vingtaine d’ouvrages, traduits dans de nombreuses langues et récompensés à travers le monde. Avec près de trois millions de livres vendus à l'international, il a dessiné pour les plus grandes maisons d’édition.
Parmi le public, Élise est venue faire dédicacer Les Contes macabres (tome 2), le premier livre qu’elle a découvert de l’artiste. Elle évoque son attachement à l’illustration française et décrit son univers singulier : pour elle, son style "est un peu entre le réalisme, le fantastique et l'univers de Tim Burton. C'est un mélange de beaucoup de genres, et c'est sûrement pour ça qu'il est apprécié par beaucoup de personnes. Et même dans ce qu'il va interpréter, on retrouve du Edgar Allan Poe, avec un univers très gothique, et à côté il va faire beaucoup de livres jeunesse."
Cette capacité à naviguer entre différents registres est au cœur du travail de Benjamin Lacombe. Interrogé par Marie Gaudefroy sur son choix d’illustrer Gatsby le Magnifique, l’artiste revient sur la naissance du projet. Un éditeur italien l’a conduit à se questionner sur ce texte, notamment à son rapport vers l'actualité :
"Ça m'a sauté aux yeux à quel point on était en train de répéter les mêmes problématiques, c'est un texte qui résonne avec l'actualité. On a une société de gens très riches, sucessfull, qui s'amusent, qui s'étourdissent dans les alcools et les drogues, et puis il y a un prolétariat qui souffre, qui est ignoré. [...] Au-delà des histoires d'amour, il y gronde quelque chose de l'ordre d'un bouleversement de la société. On retrouve la même chose, on est à nouveau dans des espèces de classe social d'ulltra riches qui semblent déconnectés. [...] Il y a une volonté d'essayer de faire comme si tout ça n'existait pas".
Ainsi, pour l'illustrateur, travailler sur Gatsby aujourd’hui permet de réfléchir plus largement à l’identité et aux valeurs de notre époque : "Je trouvais ça intéressant de le présenter maintenant et d'amener ça à la réflexion sur ce qui fait une identité, et ce qui est important dans la vie. Est-ce que c'est cet apparent succès ou est ce que c'est vivre ?".
Cette réflexion se prolonge dans la création de la collection Papillons noirs. Benjamin Lacombe raconte la genèse de ce projet éditorial : faire une collection illustrée chez un éditeur qui a historiquement peu d'illustrations, et proposer un rapport à la lecture où l'on réintroduit les images dans les livres pour adulte. Pour lui, ce projet permet "de raviver cette grande tradition en France de l'illustré, qui avait fini par disparaitre. Là, on en propose, et ce qui se passe c'est qu'entre temps, il s'est passé pleins d'évolutions, notamment dans le dessin, et puis il y a eu des évolutions techniques des livres, qui permettent de faire des choses qu’on n’aurait jamais pu faire à l'époque, et c'est ça qu'on essaie de mixer".

Par ailleurs, ce qui caractérise l'oeuvre de Lacombe, c'est aussi cette navigation entre la littérature jeunesse et adulte, qui implique a priori des approches différentes. Cependant, l'illustrateur considère qu'il s'agit de "la même exigence, même si ce n'est pas le même public. Ça permet de proposer un autre univers aussi." Dans cette veine, il évoque avec enthousiasme la diversité de ses projets récents, avant d’ajouter : "J'aurais toujours des livres jeunesse, adultes, et puis des livres plus expérimentaux."
Marie Gaudefroy souligne également la patte reconnaissable de l’artiste, son attention portée aux détails, à la lumière, notamment dans La Fille aux allumettes. Mais cette patte artistique ne s’est pas faite du jour au lendemain : Lacombe revient sur un rapport au travail exigeant, fait de différents essais, d’ajustements et d’un constant souci de perfection, avec pour seul objectif de créer de bons livres et améliorer sans cesse ce qui peut l’être.
Pour lui, le dessin est un langage à part entière : il considère avoir une façon de dessiner comme quelqu'un aurait une façon de parler ou de chanter, et il cherche à explorer différentes facettes de ce langage sans jamais l’imiter. Il précise également son souhait d’accompagner la lecture par l’image : "Je veux que pendant la lecture, qu'elle soit faite seule ou accompagnée, il y ait la dérive du regard sur les détails, qui vient qui revient."
Benjamin Lacombe rappelle enfin qu’il a toujours baigné dans le dessin, étant pour lui un moyen d’expression avant d’être un métier. Enfant, il a connu de véritables chocs visuels, de Léonard de Vinci aux films Disney comme Blanche-Neige ou La Petite Sirène, en passant par L’Étrange Noël de Monsieur Jack ou Max et les Maximonstres.
Dans le public, Tiphaine, qui l’a découvert vers l’âge de 18 ans, est venue avec plusieurs coffrets à faire dédicacer. Elle nous confie : "J'avais pris le coffret des contes macabres, et ça m'a marquée complétement. Et puis ce côté lugubre, les personnages, sa patte graphique, je l'adore. Ce que j'aime c'est la profondeur de ses dessins, même la dimension un peu psychologique, je pense que ça peut parler en chacun de nous."
Une des autres personnes présentes, Sabine, nous a même montré une illustration que Lacombe a réalisé spécialement pour elle :

Une rencontre riche, qui a permis de montrer l’attachement profond des lecteurs à l’univers singulier de Benjamin Lacombe. L'’illustration ne se contente pas ici de simplement accompagner le texte, mais raconte en elle-même une histoire, en ouvrant un espace de réflexion et d’émotion !
Retrouvez son dernier ouvrage ici !
Elise Thomas
Crédit photos : Éditions Gallimard, couverture de l'ouvrage Gatsby le Magnifique, Elise Thomas — Oyez Oyez, et